Schweizer Medien : La SSR encore en ligne de mire
Pour la troisième fois en quatre ans, Hanspeter Lebrument, le représentant des éditeurs, a profité de la traditionnelle rencontre du 6 janvier pour vouer la SSR aux gémonies : selon lui, alors que les éditeurs en sont réduits à la portion congrue, les fonds alloués à la SSR ne cessent d’augmenter. De plus, l’offre en ligne de la SSR attire des lecteurs au détriment des sites des journaux. Il a donc réclamé une interdiction totale de publicité pour la SSR et une nouvelle restriction des contenus textuels mis en ligne.
En 2012 et 2013, la SSR avait déjà été le thème central des interventions d’Hanspeter Lebrument, président de Schweizer Medien, à l’ouverture de chaque réunion annuelle des éditeurs suisses lors du jour de l’Epiphanie. Il y a trois ans, ce dernier déplorait la profonde méfiance opposant éditeurs et SSR. Et de déclarer texto que « le manque de partenariat était du fait de la SSR » à qui il reprochait par ailleurs un « chant des sirènes » à propos de la coopération dans le domaine du web. Au moins pensait-il encore qu’une solution était envisageable. Un an plus tard, son discours s’était durci : devant Roger De Weck, directeur général de la SSR, il avait évoqué la « guerre entre les médias privés et publics », la SSR étant devenue, avec Google, « l’un des principaux adversaires » des éditeurs.
Principale raison de se lamenter : le recul des recettes publicitaires
Cette année Hanspeter Lebrument, 73 ans, a de nouveau désigné la SSR comme étant la seule tête de turc des éditeurs. Il a rappelé l’époque où les grands journaux et la SSR disposaient de budgets comparables. Ce qui n’est plus le cas. « Touchant CHF 1,2 milliard de redevance, la SSR devance largement tous les autres groupes médias », a-t-il déclaré. Et de se demander donc comment mieux équilibrer la répartition des moyens entre SSR et médias privés. Sa réponse : « La prohibition ou une restriction plus forte de la publicité pour la SSR serait ici une éventualité ». Selon lui, il faut absolument maintenir l’interdiction de publicité en ligne pour la SSR. Autre idée : « Soumettre la SSR à des restrictions en termes de contenus sur Internet » car sa « trop grande présence textuelle » entraîne une forte perte d’audience des fournisseurs privés.
Une redevance pour tous les acteurs média
Le fait que Michi Frank, CEO du groupe Goldbach, soit également intervenu à cette occasion ne manque pas de piquant, puisque son entreprise commercialise la plupart des fenêtres publicitaires des télévisions étrangères, qui ne profitent aucunement à la Suisse en termes de publication alors qu’elles absorbent, à l’étranger, une grande partie des budgets publicitaires – de l’argent dont les éditeurs auraient bien besoin. Ce que ces derniers considèrent toutefois comme un moindre mal.
Dans son intervention, Hanspeter Lebrument a ainsi réfuté la thèse voulant qu’une interdiction publicitaire pour la SSR profiterait plus aux écrans publicitaires des chaînes étrangères qu’aux groupes médias privés. « La grande majorité des membres de Schweizer Medien, a déclaré ce président, sont convaincus que le modèle britannique (la redevance pour télévision et radio, la publicité pour les privés) est une solution méritant réflexion ». La SSR devrait alors se concentrer sur un programme réduit, avec moins de canaux, et s’en tenir à « la redevance la plus élevée de toute l’Europe. Nous pensons que c’est possible. »
Compromis : un rappel aux éditeurs
Interrogé après les nouveaux coups de bâton de Hanspeter Lebrument, Roger De Weck n’a pas voulu prendre position, contrairement à Roland Ehrler, le directeur de l’ASA (Association suisse des annonceurs) : « Schweizer Medien souhaite limiter la publicité sur les chaînes de la SSR. Il s’agit d’une mauvaise idée pour la liberté de choix des annonceurs publicitaires », a-t-il twitté.
Il n’est pas le seul à critiquer ces nouvelles attaques contre la SSR. Walter Thurnherr, secrétaire général du DETEC, a par exemple déclaré, lors d’un débat organisé pendant la réunion : « À mon avis, la SSR ne compte pas parmi les problèmes essentiels des médias de presse ». Il a également rappelé à Hanspeter Lebrument le compromis adopté à l’automne 2012 par le Conseil fédéral, qui prévoyait pour la SSR une interdiction provisoire de publicité en ligne mais l’autorise à élargir son offre de publication sur Internet. À cette époque, les éditeurs avaient très favorablement accueilli ce compromis, a-t-il ajouté. Verena Vonarburg, directrice de Schweizer Medien, lui a demandé quelle était la durée de validité de cette clause. Réponse de Walter Thurnherr : « Cette décision fera certainement l’objet d’une nouvelle discussion. Mais à l’heure actuelle, la publicité en ligne chez la SSR n’est pas à l’ordre du jour. »
Swisscom en quête d’un partenariat avec la SSR
Urs Schaeppi, CEO de Swisscom, refuse lui aussi de faire chorus avec les éditeurs. Même si Swisscom produit, dans le domaine sportif, des contenus télévisés pour sa chaîne SwisscomTV et fait ainsi concurrence à la SSR, la recherche de partenariats n’en est pas moins actuelle. « Nous partageons avec la SSR de nombreux intérêts : à ce jour, nous étudions des projets communs afin d’optimiser l’offre destinée à nos clients suisses. » (Lire également l’interview de Martin Schneider, directeur de Publisuisse en pages 6 à 9 de cette édition). Urs Schaeppi n’a par ailleurs fait aucun commentaire sur PubliGroupe, local.ch et search.ch ; il a uniquement déclaré vouloir attendre la décision de la Commission de la concurrence. Attitude identique de la part de Ralph Büchi, président international d’Axel Springer, en ce qui concerne la création de la nouvelle société Ringier Axel Springer Suisse. Aucun des dirigeants de Ringier n’a d’ailleurs daigné se déplacer à cette occasion.
Goldbach prêt au coude à coude avec les éditeurs ?
Revenons-en à l’intervention de Michi Frank : le CEO de Goldbach en a profité pour inviter à plusieurs reprises les éditeurs à resserrer la coopération avec son entreprise. « Goldbach est un vendeur numérique et se veut partenaire des fournisseurs de contenus. » Il n’a pas été plus concret. Goldbach commercialise déjà les radios et télévisions privées des éditeurs. Doit-on en conclure qu’il a désormais jeté son dévolu sur leurs offres en ligne ?
Les journaux ont-ils une ligne politique ?
Rappel des faits. Fin 2014, le conseil d’administration du groupe NZZ avait prévu de nommer Markus Somm au poste alors vacant de rédacteur en chef de la NZZ. Membre du PLR, ce dernier est rédacteur en chef de la Basler Zeitung (BaZ) dont il est également l’éditeur aux côtés de Christoph Blocher. Sous sa houlette, la BaZ navigue dans les eaux de l’UDC. Sa candidature au poste de rédacteur en chef de NZZ a donc provoqué un tollé parmi de nombreux adhérents du PLR et au sein même de la rédaction de journal. In fine, Walter Somm a prudemment décidé de ne pas entrer en matière.
Lors de la rencontre de l’Épiphanie, un débat a réuni Markus Somm, Res Strehle (rédacteur en chef du Tages-Anzeiger) et Felix E. Müller (rédacteur en chef de NZZ am Sonntag). Au cœur de la discussion : l’orientation politique des trois rédactions. Les trois participants s’entendent sur l’importance de l’engagement politique. « Selon les statuts de la rédaction, le journal NZZ est tenu, depuis sa création, de défendre le libéralisme suisse », a déclaré Felix E. Müller. Pour Res Strehle, « le Tages-Anzeiger suit une ligne libérale tant économique que sociale, la transition énergétique étant à ce titre un objectif irréfutable autant que les droits de l’homme, le droit international public et l’égalité des sexes ». Enfin Markus Somm, dont le journal passe systématiquement sous silence les blâmes adressés par le Conseil de la presse à la BaZ, il a défini son journal comme étant « pluraliste », « conservateur » et « sans aucun doute à droite du centre ».
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